Le petit village de Thines dans la Cévenne ardéchoise bénéficie d’une église romane particulièrement intéressante. Elle fut édifiée, sous l’autorité et grâce au financement de l’abbaye du Monastier Saint-Chaffre, par des équipes hautement spécialisées, extérieures au pays. Lieu célèbre de pèlerinage depuis le XIIIème siècle, l’église de Thines servait de contrepoids à la ville réformée des Vans.
En 1627, les châtaignes, la vigne, les jardins, les fruits, l’élevage et le miel arrivaient à faire vivre tous les habitants de Thines, village composé de plusieurs hameaux, qui comptaient environ cinq cents habitants soit 115 feux. Un partenariat privilégié sur le plan économique était établi avec le village voisin de Montselgues.
Les moines bénédictins de ces deux paroisses dépendantes de la même abbaye percevaient la dîme. Cet impôt, institué au VIIIème siècle par Pépin le Bref, assurait à l’église la dixième partie des récoltes et des revenus. Il était souvent considéré comme abusif et donnait lieu à des procès et à des tractations. Les habitants de Thines considérant cette charge trop lourde ont intenté un procès à l’abbaye. La communauté, aidée par les deux notaires de la paroisse (François Lejeune et Pierre Martin) nomma alors deux procureurs généraux (Claude Ginestier et Jean Jeune) chargés de trouver une solution. De dures négociations furent entamées avec la hiérarchie de l’abbaye. L’affaire fut portée jusqu’à la cour souveraine du parlement de Toulouse crée en 1444 par Charles VII. Elle était habilitée à juger, administrer et répartir l’impôt (en 1629, le roi lui enlèvera ce droit).
Le 25 Novembre 1627 un accord satisfaisant pour les deux parties fut trouvé. Voici, dans le texte, les passages les plus importants :

"Item ont convenu tranzigé et accordé, tranzigent et accordent, c’est que pour du droit du Dime de la laine, poule, le fromage prétendus par les Sieurs Religieux ; comme prieur de les dites parroisses de Montselgues et Thine ; iceux dit religieux, ny les leurs successeurs à l’avenir ne pourront dorénavant prétendre ny expérer le droit de Dime sur la dite laine, poule, ny fromage; ainsi leur sera baillé et payé annuellement et perpétuellement pour chaque maison faisant feu dans la paroisse de Thine le lieu de Lespinas en dépendances d’icelle paroisse la somme de deux sols tournoix payables à chaque jour et fette de Saint-Marc, a laquelle somme le Dime des sus dites choses a été reçu et accordé en considération de ce que les habitans de la dite paroisse se sont démis et démettent de tout présentement savoir le dit Ginestier le jeune en vertu de leur dite procuration du droit d’hospitalité que les habitans prétendaient demander et actionner les dits Sieurs Religieux comme prieurs……
C’est que les Sieurs Religieux comme prieurs et leurs successeurs prendront et lèveront sur les paroissiens de la paroisse de Thine et dépendances ; savoir qu’aux chataignes y croissant la douzième partie du premier nombre et du second la treizième partie entière et sans aucune diminution de ceux qui les recueilleront et sans payer aucune Dime qui se mangeront fraiches, sans qu’il soit permis et loisible aux Messieurs Religieux ny a leurs successeurs de pouvoir demander ny prétendre autre chose que ce dessus est dit pour raison des chataignes…….
Et pour le droit de Dime des Vins croissant en la dite paroisse de Thine, les Sieurs Religieux le prendront à raison de dix cetiers vins. Et lors et quand les habitans de la paroisse voudront sortir leurs vins des cuves pour les mettre aux tonneaux étant faits seront tenus le faire savoir aux dits sieurs ou à leurs rentiers de recevoir leur portion de vin, ou les Sieurs Religieux ou leurs rentiers ne pourront prendre le leur et lever leur dit vin ou n’auront loisir les ayant attendus par temps, pourront iceux habitans lever leurs dits vin et mettre la part des Sieurs Religieux justement dans un bon tonneau nonobstant l’absence du Sieur Religieux ou leurs rentiers, de ce avant avertis.
Et pour le dime des couchons des Sieurs Religieux prendront de deux truyes ayant pourceaux, un couchon et une truye la moitié d’un ou la valeur qu’ils seront tenus prendre dans trois semaines après leur naissance sauf que venant à naitre en temps de Carême qu’est depuis le mercredi des Cendres jusques à demy Carême les paroissiens seront tenus de les garder jusques à la fette de Pâques sy mieux n’ayant payer pour la valeur de chacun couchon la somme de huit sols et pour la moitié quatre sols et à chacune fette de Pâques. Et quand aux blés et grains seront tenus les dits paroissiens de payer aux Sieurs Religieux la onzième partie de tous et chacun les blés et légumes croissant dans la dite paroisse seront tenus payer aussy aux Sieurs Religieux le Dime des agneaux et chevreaux naissant dans la paroisse à raison de quatre la moitié d’un, de huit vu entier et jusques un et demy au nombre de quatorze, de dix neuf deux et jusques au nombre semblable de quinze, vingt deux autres deux agneaux et au cas il ni aurait que trois sera payé pour chacun d’iceux un denier tournoix payant en même façon le dixième des chevreaux, et à chacune dernière semaine du mois d’avril et si après le dit terme ils naissent d’autres agneaux ou chevreaux. Et couchons au nombre de quatorze un et demi, les Sieurs Religieux pourront prendre semblable Dime que dessus à proportion du nombre.
Item, pourront les dits Messieurs Religieux et leurs successeurs à perpétuité prendre sur les paroissiens le Dime du millet a raison de douze pièces une, suivant l’ancienne coutume et moyennant les choses sus accordées, les dits messieurs religieux ni leurs successeurs ne pourront prétendre ni demander aucune autre chose ni droit de Dime sur aucun autres fruits que ceux qui sont dessus désignés et spécifiés en considération de l’hospitalité sus dite par les dits procureurs. …
Le tout ainsi que dessus les dites parties chacune en ce que les concevoir l’ont promis attendre et observer par leur serment le jugement prêté savoir les dits Messieurs en forme de religieux mettant la main sur la poitrine, les dits procureurs sur les Saints Evangiles, sous obligation des biens du dit couvent et des paroissiens qu’ont soumis aux rigueurs de la cour souveraine, les autres d’ou sont ressortissant avec du renonciation, de quoi les dites parties ont requis leur en être fait expediè acte et instrument par nous notaires soussignés, fait et recité au dit Monastier Saint Chaffres, dans la salle capitulaire du dit couvent… "
Le présent extrait a été tiré mot à mot de l’original.
Quelle analyse sommaire peut t’on faire sur ce texte ?
A : Il apparaît que cet accord a été conclu avec les plus hautes autorités de l’abbaye. La représentation massive de tous les responsables à divers titres (Frère Jacques Chambon chanoine, Jean Faure sacristain, Henry de Solignac aumônier, Mathieu Pradon précepteur, Etienne de la Roche dom prieur claustral, Pierre Auroux maître des novices, Etienne Blanchon sous prieur, Charles Limoizin prieur de Chaudielle, Pierre Bonnet, Jean Bernard, Claude Vincent, Picon Chambon vicaires, Pierre Poujol, Jean Aymard, Jacques Duron, Jacques Blanc, Vidal Geranton et Martin Veyrac officiers et religieux du dit couvent) montre, s’il le fallait, l’importance accordée à Thines et à cette redevance. La présence des témoins Claude Jeune prêtre prieur de Montselgues et Etienne Brun notaire du dit Montselgues atteste des relations étroites entre les deux paroisses.
B : La part attribuée à l’entretien de l’église et du clergé et celle qui revenait à l’abbaye ne sont pas précisées. La coutume voulait que le quart de la dîme soit donné au monastère ou à l’évéché. Les capitulaires de 779 et 794 qui ont rendu cet impôt exigible, ont laissé toute liberté quant à l’utilisation des recettes.
C : Ces négociations ont été menées par les deux procureurs de Thines. La cour souveraine de Toulouse a dû exercer des pressions et orienter le compromis : On s’aperçoit que les paroissiens n’en sont sortis ni gagnants ni surtout privilégiés. Nous savons qu’en Provence et en Dauphiné la part exigible de la récolte était bien plus modeste. Si l’ont fait une étude comparative avec la paroisse de Gravières qui est très proche de Thines, on remarque des différences sensibles : à la même époque, les grains (blé, seigle, avoine, millet) et les légumes (choux, poireaux) sont prélevés sur un douzième à Gravières au lieu de un onzième à Thines. Idem pour le vin : un dixième à Thines, un onzième à Gravieres. Les bénédictins de Saint-Chaffre ont bien négocié ! La présence à Thines de cette église extraordinaire qui attirait les pèlerins en nombre, justifiait-elle une si lourde imposition ?
D : Les deux procureurs, les deux notaires de Thines et les deux prêtres de Montselgues ont certainement trouvé ce voyage épuisant. Nous sommes fin novembre. En empruntant le chemin « antique », il faut passer par Loubaresse pour rejoindre la route du Puy. Les cols à franchir, les forêts à traverser, les gués à passer sont nombreux et les chemins royaux du début du dix septième siècle peu sûrs.
E : Pour la signature de ce contrat, les traditions de l’époque ont été respectées : la séance s’est déroulée dans la salle capitulaire de l’abbaye. Cet endroit, appelé aussi salle du chapitre, était utilisé pour toute discussion concernant les problèmes matériels, les questions de discipline et l’admission des novices. Pour conclure cet accord, les deux procureurs ont posé la main sur les Evangiles pour prêter serment, alors que, conformément à la règle de l’ordre des bénédictins, les religieux ont mis la main sur la poitrine.
F : Ce texte donne des indications intéressantes sur les différentes récoltes et élevages de cette époque à Thines. En premier lieu, il a été noté la dîme sur les châtaignes qui étaient l’aliment de base dans toute la vallée. Vient ensuite le vin qui sert le plus souvent de monnaie d’échange tout comme les grains : seigle et blé. Nous savons, grâce au compoix terrier de 1624 que la production était importante malgré un faible rendement à l’hectare. On peut supposer qu’une partie allait à dos de mulets directement à l’abbaye. Grâce à l’eau partout présente, les jardins potagers étaient nombreux et productifs. Ce qui explique l’importance de la dîme sur les légumes. Nous observons qu’il est mentionné, avec une grande précision, la redevance sur les cochons, les chèvres et les moutons. Cet élevage diversifié était depuis longtemps un grand classique de la Cévenne Ardéchoise.
G : Nous ne sommes pas dans une région riche et l’on peut considérer que la dîme représentait un impôt vraiment très lourd pour tous ceux qui y étaient assujettis. Heureusement, les autres redevances seigneuriales, foncières et banales étaient plus faibles. On comprend qu’il y ait eu des conflits et des procès entre les payeurs et les bénéficiaires de la dîme : il faudra attendre la révolution de 1789 pour qu’elle soit abolie.
Grâce à la découverte de ce texte dans une correspondance privée, nous avons un petit aperçu de la vie du village de Thines et de sa prestigieuse église romane au début du dix septième siècle.

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